mardi 1 mai 2007

BRASIL. Belém, prise 2

Après ma folle aventure argentine, mon retour à Belém a été un véritable choc culturel en bonne et due forme. Je posais un regard nouveau sur tout, pour le meilleur et pour le pire. C'est comme si Belém avait entendu mes pensées et s'était lancée dans une campagne de "grande séduction". Ça commence par la Semaine des peuples indigènes du Pará, durant laquelle plusieurs expositions, ateliers et spectacles ont été organisés. Puis j'ai découvert que dans mon quartier, il avait un mouvement underground de récupération de porões (de sous-sols en bon français). Des artistes, nombreux dans ce coin de la ville, ont décidé de récupérer ces endroits inutilisés de leur propre maison pour créer des salles d'exposition ou monter des pièces de théâtre, ce qui a donné naissance au teatro de porão. J'ai eu la chance de vivre une des meilleures expériences théâtrale de ma vie à 2 coins de rue de chez moi. On entre littéralement dans la maison de Vlad (la maison verte sur la photo), une prolifique metteur en scène de Belém. Il y a uniquement de la place pour 9 personnes par représentation hebdomadaire, et il faut réserver longtemps à l'avance. Puis commence cette pièce bouleversante sur l'inceste et l'obésité dans laquelle Vlad joue toute nue. La proximité entre les comédiens et le public nous permet de saisir chaque petit détail du jeu (absolment fantastique) des comédiens, tel que la salive qui abonde dans la bouche de l'un qui fait une description tordue et cochonne de son rêve de poulet. Comme ce projet fait partie de la thèse de doctorat de Vlad, on procède ensuite à une discussion sur cette intense expérience sensorielle et émotionnelle. Bouleversant. La veille, j'avais assisté à une autre pièce de théâtre qui mettait en scène les prostituées de mon quartier. Un genre de musical historique grotesque qui expose ce que ce quartier de Belém avait été jadis avant de tomber dans la déchéance et l'indifférence: un quartier chic de prostitution de luxe fréquenté par les gens de la haute. Ce qui est extraordinaire de cette pièce, à part le fait que la majorité des actrices sont de vrais putas comme ils disent ici, c'est qu'à la toute fin, le public est invité à passer à travers la scène dans une ambiance de carnaval pour sortir par la porte de derrière et aboutir dans la rue qui est en fait LA rue de la prostitution...et la parade continue à l'extérieur avec les comédiennes d'un soir et les prostituées en service qui attendent leurs clients réels et le public tout désorienté. Une transition brutale de la scène au trottoir, de la sécurité du théâtre à la menace réelle de la rue sur une musique de samba qui résume si bien la dualité brésilienne de la joie inconditionnelle malgré la dure réalité de la misère au quotidien. J'ai pris une photo de ce coin de rue à la va-vite parce que seuls les imbéciles y sortent leur caméras. La voiture cache une jeune fille qui déambule complètement nue dans la rue... À mon retour de la Alejandría de Sudamérica , j'ai senti aussi l'urgence de l'action, sachant que ma prochaine visite à l'aéroport serait pour quitter définitivement (bon, peut-être pas aussi définitivement que je le crois) cette ville qui m'a accueillie pour 4 mois. Plus une minute à perdre. Avec Alex, ce jeune homme de 21 ans qui quitte son Brésil pour la première fois pour se rendre dans "la très belle ville de Québec" afin de présenter le projet de son groupe (le ICA) à Lacs et rivières en fête, j'ai parcouru la ville en entier et foutu le bordel dans la bureaucratie brésilienne et canadienne afin d'obtenir son passeport et son visa avant le 14 mai prochain, date du grand départ. Nous avons réussi, mais je vais dormir sur mes deux oreilles uniquement quand je recevrai par la poste son visa tout chaud sorti directement des fours de São Paulo. Pour l'instant, c'est la préparation mentale, l'achat de gilets de laine (paraît-il que le printemps canadien est une grosse blague plate) et l'apprentissage des rudiments du français (allo, ça va, je veux être ton ami). Il faut aussi rassurer la maman, faire une entrevue avec le journal local et enseigner à Alex les rudiments de la caméra pin hole, ce que Miguel se chargera de faire. C'est qu'Alex deviendra l'ambassadeur du projet Olhos d'agua au Québec en présentant au participant les activités de Fotoativa, mais aussi un ambassadeur du Québec à son retour au Brésil alors qu'il présentera ses photos commentées à sa communauté. Patricia, notre partenaire cinéaste à Belém, commence d'ailleurs à tourner un documentaire sur l'expérience d'Alex et elle intégrera les photos pin hole du gamin à son retour pour transformer le tout en vidéographie. Ça promet. Parlant de sténopé (paraît-t-il que ce serait le terme en français pour pin hole...), le grand jour du Pin Hole Day à Belém a été un véritable succès pour une 6e année consécutive. Quelque 200 participants se sont inscrits chez Fotoativa et ont pu profiter de ces petites caméras merveilles qu'une vingtaine de bénévoles ont confectionnées toute la semaine (j'ai des ampoules) et des ateliers offerts par Miguel sur les confection de divers types de sténopés: boîtes d'allumettes, boîtes de conserve, et même la baptisée "Pin Lux", une caméra pin hole qui fonctionne avec un vrai film (on peut en voir un spécimen sur une des photos). La préparation d'un tel événement est gigantesque, et je dois dire que j'ai été impressionnée par la mobilisation des amoureux de la photographie de tous les âges et des bénévoles qui ont travaillé comme des dingues pour que cette journée soit mémorable. Vous pouvez consulter le blog de Fotoativa et voir d'autres photos prises lors du Pin Hole Day 2007 (ainsi que de jolies photos prises par des étudiants ou anciens étudiants de Miguel) à l'adresse suivante: http://www.espiandomundo.blogger.com.br Bref, en une semaine, j'ai réussi à me rattacher à mon petit coin de pays temporaire. Belém pour moi, c'est avant tout la rivière, mon quartier et ma maison. Ce sont ces gens extraordinaires que je rencontre chez Fotoativa, c'est mon vieux voisin de 67 ans assis sur son balcon tous les jours qui me demande en mariage à chaque fois que je le salue, ce sont mes colocs avec qui je partage un verre de cachaça un soir sur deux, ce sont ces putes qui chantent sur la scène et cette comédienne qui pleure toute nue dans sa cave. Oui, Belém me rentre finalement dans le coeur. Comme dit mon ami Marco, born and raise in Belém City: "Belém est comme une vieille pute de qui on s'ennuie".

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Bonjour Geneviève,

J'arrive de Toronto, et voilà que tu as deux nouvelles entrées dans ton blogue. Fantastique.

Les détails que tu racontes au sujet de Belém sont très intéressants. Moi aussi, je pense que l'intérêt que l'on peut avoir pour un endroit, quel qu'il soit, ce sont les petits détails de la vie quotidienne. Ça me rappelle un fanatique du cinéma, à Toronto, qui avait converti sa maison en cinéma de répertoire et l'avait ouvert au grand public. Encore aujourd'hui, il projette les films qu'il aime et commente ses sélections après chaque projection. Je ne suis jamais allé, malgré les annonces hebdomadaires dans les journaux locaux, et malgré le fait que j'aie été tenté d'y aller plusieurs fois. C'était à 1 heure de marche de chez moi, à Toronto. J'aurais pu prendre l'autobus. Tu me fais regretter aujourd'hui que je n'y sois jamais allé.